Tiens il pleut

Tiens il pleut
Tiens il pleut

samedi 10 juillet 2010
















Ici sur la vaste plaine
les épis de fleurs fragiles grainent les flancs des fossés

à la pointe des talus
aux talons des sabots d'argile
aux claquements d'éventail des corbeaux
le ciel est immense

Ici le ciel est démesuré
une mer de houle de blés point
forcissant la bouche
sur sa gorge noire d'encre et d'or

Enluminures du crépuscule batelier
marines aux poignets
vasques d'ombre
pistils grenus

Une note d'ogre voguant à la langue bleue

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mercredi 7 juillet 2010



















Chère Louise,



A présent cela fait un bon mois que je n'ai plus écrit, un ennui , des petites heures, que je n'ai pas voulu habiller et désennuyer , de légers tressaillements sur un feu doux , des mitonnements de compote aux parfums tièdes et volatiles, des ruses de petit ventre d'oiseaux tristes, toutes ces choses qui s'envolent, à peine posée,
de fines gouttelettes au tamis des soirées de juillet , des roses qui ne finissent pas de s'étirer et prennent la grâce courbe des plumiers d'oiseaux à tire d'aile sur la plaine brûlante.
Les nuages bâillent , ils ballent leurs flancs maigres sur les blés ruisselant de lumière.

La chaleur a été accablante et ce soir , un drôle de petit merle est venu inventer la brise, juste au dessus de la fenêtre , il bat des ailes en arrière , un équilibriste de talent, sa tête et au milieu deux yeux curieux , il joue avec la vie tout son corps haletant, ne la tenant que par un mouvement d'ailes en arrière, projetant tout son être fragile à l'avant, carcasse juvénile, mince ossature de brindilles, doux une brise, tendre ballet solitaire, joyeux vertige , voltige entre la vie et la mort sans repère de durée, d'un continent à l'autre , un battement d'ailes , ce soir c'est l'éternité sur deux brins d'osier.

Louise , je viens juste de me rendre compte que grabuge est un peu ce compagnon d'immortalité,nous nous sommes choisis, nous nous connaissons, à travers lui, ce que j'ai senti, aimé, toutes mes déroutes, toutes ces courbes, ces lignes droites que je n'ai pas rencontré, ce que j'aime, ces instants retenus ou abandonnés, le grand conspirateur de l'immortalité, les batailles, les guerres les défaites, toute la place que je lui ai donné, de coeur, d'âme et de corps, tous les oiseaux qu'il a humé frissonnant, toutes ces trajectoires , une ligne de mots sur le ciel du soir, l'été débutant au silence de l'aube et la palpitation du roseau frêle sur la nacre du fleuve, il me semble que je me suis écartée des carnavals,des talents , des artifices ,la musique, seule la musique me réconcilie avec le monde, mes colères sont éparpillées , fétus de paille.

Je reste tenace, vivace, mais j'ai changé, toutes ces petites heures d'ennui, j'ai changé, le soir est doux , le petit merle est revenu yeux curieux , je ne sais d'où il vient, et pourquoi, comment, lui non plus, le soir est doux, et sur la ligne d'horizon , des lianes de pivoines se livrent au voyage des nuits .


Ce n'est pas contre les hommes que j'ai conspiré et conspire encore, c'est contre la mort dont ils s'emparent pour la postérité de son goût, pour leur goût de la célébrité pour durer , de la démonstration, leur goût et leur appétit insatiables pour les machines explicatives.
La mort rendant en ces temps, important, n'en parlons plus, je la rend à ceux qui l'appellent, la veulent , la complimentent, la supplient d'être belle , la roulent sous les dossiers de presse, les books, les marchés à gros tirage de manches.
Il y a quelques temps , petitement , piteusement, j'étais allée au devant d'elle, je n'avais pas eu peur, la douleur anesthésie tout mouvement, la mort m'avait accroché un instant , un papillon de nuit sur une feuille d'aube dépoudrait ses ailes , elle n'a pas voulu de moi, et toi Louise où es-tu , dans ma peau, sous mes lèvres, dans le fin réseau de mes paupières, dans mon sommeil et dans son aube palpitante, dans la grande nuit, au pied des pins bleus , là où les oiseaux vagissent , enfants des lunes fauves.

Lorsque la vieille femme prenait le masque du rictus , elle allait chercher le souffle au plus profond d'elle même,, me plantait les ongles dans le bras avec une férocité et une force incomparables , je lui donnais Bach et Mozart, les cailles, les robes légères des femmes, la grâce de l'oiseau, les courbes du fleuve, les fesses de Marie- Rose, les soleils de cerises dans le ventre dodu des merles,l'évanouissement du flocon de neige sur le vitrail bleu des nuées, les foulées du tigre , le passage du chat sur le mur de pierre, la mer, les navires , les ruisseaux, les herbes et les fourmis,mes chaussures jaunes, et dans un souffle premier son visage , l'ovale de la goutte de pluie sur l'après midi finissant , l'orage levant les feux mouillés , frisant les blés, le corps bercé de l'haleine de l'ondée, les épaules gonflées d'amour , sans aucune autre raison, la déraison d'aimer. je n'entendais plus ma voix, elle dormait sans commandement.
Je lui caressais les mains. Ses veines , des lianes roulant sous mes doigts. Je démêlais ses cheveux , noeud de buissons sur l'oreiller.

Son coeur battait doucement elle avait changé le monde, le mien, la chambre était ouverte, j'avais changé le sien, cela seul , l'éternité de ces secondes , nous n'étions sûres de rien, le soir la nuit pouvaient venir bruire les yeux de la neige sur la forêt immense, le monde n'avait pas de limites , solitudes tenues par la main, nous les avions dépassé sans un seul pauvre mot.

Le monde perd sa signification , le monde perd ses questions, ses réponses et ses bruits, nous l'abordons avec notre part d'ombre , taupes aux yeux d'étoiles plissées et le chant d'un enfant à l'aube qui glisse sa barque , l'onde sur sa tempe murmurée de soleil parmi les lettres feuillues des arbres .

Il y avait un blanc sur la table de sa chambre, un trou écorché abominable, " nous pensons à toi , nous pensons à toi ".

Baisers. Tes enfants qui t'aiment.

Qu'est-ce qu'aimer
Qu'est-ce que vivre
Qu'est-ce que mourir.
Le monde perd sa signification.

Je suis encore un peu triste, mais rien de bien méchant, un petit ennui qui chemine à son rythme , ne laissant pas de place à l'apitoiement.
les machines veulent fouiller les ventres, les boues , les viscères, les méandres des rivières , juste poser la main et entendre battre la veine à la virgule fragile du poignet , la face cachée tenue et délivrée au tendre du parfum .

J'ai repris mes promenades solitaires , à l'heure du point d'orgue du soleil, la torpeur confiture de bitume, je vais à la forêt , à l'heure où la semblante trêve fait sortir les passants qui commercent , je rentre chez moi et je veille une partie de la nuit sans penser à rien d'important, je m'endors avec l'odeur de la forêt sur la nuque , une gorge de ruisseau sur les poitrines des pierres, le ventre vif- argent des alevins qui glissent sous l'onde chatoyante, des robes vives d'eaux.
Jeté les réponses par la fenêtre, le merle reviendra peut être demain.

je n'écris plus , je t'écris,
je n'écris pas, je souris,
une question de crâne douloureux reposé dans la paume de mes mains
une question de main, de souffle et d'abandon,
une question à ne jamais poser,
la part des autres,
la mienne
la part du feu qui brûle les chaumes
la part de l'eau vive
la petite part lasse de la pensée dans les mains roides de la mort.

je ne pense pas , je ne pense plus à me lire ou me relire, je t'écris , j'ai tout mon temps pendant que partout ici et aux quatre coins du monde , tout et tous s'étrillent, je me moque de moi , de mes restes et du reste .

Le petit garçon de l'immeuble à côté du mien , ce soir fait des figures compliquées avec sa bicyclette rouge , juste devant la porte d'entrée , chaque jour , nous nous croisons, nous nous sourions, il m'a parlé du bout des lèvres, un sourire timide , empêtré dans les pédales , il a posé un pied par terre , bonsoir et le " vous êtes belle ". A-t-il trouvé peut être, que je lui ressemblais un peu . C'est ce que j'ai pensé , tous les soirs nous nous disons bonjour, c'est drôle et émouvant.
Pourquoi je te raconte cela, sans doute certaines personnes nous connaissent immédiatement et le temps qu'ils prennent à le sourire et le dire , est ce temps qui m'importe , ce temps simple du présent, ce temps qui dure immédiatement , ce temps de lumière qui ne craint pas la lumière, , ce temps de l'histoire , ce temps de l'écriture, ce temps de l'ombre qui fleurit au détour d'une bouche, la connaissance de soi par l'autre, une fleur sur le bitume qui ne vit que par les yeux et l'âme et la chair que nous avons de nous même et des autres , un sentiment inexplicable.

Plus tard, il a fait plusieurs fois le tour de l'immeuble , faisant tinter la sonnette de sa bicyclette sans relâche , un deuxième bonjour, ou un bonsoir , demain soir , nous nous dirons bonjour , voilà qui change tout , qui change le monde .

Dérisoire , Louise, dérisoire , ce que je peux dire , un instant bon , beau , sans enjeux , sans artifices.


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