La vie passait au grand jour aphone , la vie passait , cela n'intéresse personne, à la trappe.
Tout à l'heure, le voisin du dessus disputait assez fort sa petite fille, qui disait-il, mentait!
Aphone , il la tirait par le bras , une laisse .
Elle a les yeux qui pétillent, vous êtes mort, à son âge , je mentais pour rien , presque tout, c'était drôle, le visage des gens tout autour changeait.
Le mensonge avait occupé toute une soirée et une partie de la nuit, ma soeur m'avait dénoncé ,
ma mère m' interrogeait , je ne cédais pas, et je passais la deuxième aiguille de minuit à la minute suivante ,
un nouveau jour, seconde partie de la nuit, que je savourais en mordant dans les allumettes en pâte d'amande
que j'avais chipé après le dîner , la boîte posée sur la T S F océanic , un monument de la cuisine formica , tous les soirs il grésillait, crachotait, susurrait , l'air vibrait de la voix de Ray Charles, " Georgia on my mind ", entre deux cuillères de soupe , où la main gauche devait être à même hauteur que l'assiette et pas sous la table , sous peine d'une remontrance , " tiens toi bien à table " souvent accompagnée d'un coup de fourchette sur le dos de la main , là où il leur semblait faire mal..
Mentir est une saine occupation, une distraction, c'est divin, de grandes choses j''écrivais dans ma tête, légère , vos actes ne laisseront que la laisse accrochée à votre main, la vie qu'elle anime laissera plus de traces en elle , qu'aucune autre vie ne lui aurait donné, laissez-vous piquer , c'est elle qui vous tient, pas vous, vous êtes au grand jour, mais lequel ? Et quelle vie ?
Mentir , mentir et alors?
Quoi d'autre ?
J'aurais aimé qu'il entende le mensonge comme liberté, l'accord avec soi et le monde , le sien , le nôtre.
Je me suis fait encore un ami , je crois qu'il n'a pas compris . C'est toujours comme ça .
J'espère qu'elle mentira pour rien, qu'elle n'apprendra pas toutes les leçons, qu'elle ne fera pas tous les devoirs, qu'elle presse le monde entre ses mains , lorsqu'elle pressera le monde entre ses mains, qu'il la piquera , et qu'elle mentira pour rien .
l'accord avec soi , c'est le monde.
De même , enfant , de retour après une longue absence , arrachée d'un monde , j'en avais conquis un autre, à nouveau
arrachée de cet autre , je revenais au premier, mais les visages tant cherchés avaient changé , ceux là même que je créais sur la feuille de papier , ceux là même à qui j'écrivais des lettres insouciantes et déchirées, quelques phrases chardons et des oiseaux de ligne de nuit,, dessinant les contours avec mes mains , ceux là même qui étaient ma famille n'avaient senti aucune larmes , ils étaient plus loin , beaucoup plus loin derrière , j'étais passée de l'autre côté, de le pressentir autant fut ma première alarme , mon premier adieu, mon premier regain , mon précieux souci , ma première phrase et ma dernière poussées hors des chemins, d'un corps inexpliqué, inconnu .
Ma soeur m'accueillit avec cette exclamation , dès que j'ouvris la bouche, - Je ne comprends pas ce qu'elle dit , elle a un accent ! - Elle est coiffée à la diable - Et dans une petite indifférence , se recoucha aussitôt .
Mon frère , lui, avait eu un accent différend, il s'était assoupi sur la dernière marche de l'escalier , et son sommeil veillait et attendait , il respirait à travers son visage , sa poitrine se soulevait doucement, sa tête penchant à demi sur son épaule , il était perceptible jusqu'à la racine, je peux dire qu'il s'éveillait telle une fleur, quand il me vit, il ne dit rien , tout était dit.
Quelques années plus tard , il s'endormit tout à fait , je ne le revis plus jamais ainsi.
Cet accent m'a fait prendre les armes , déchirer les âmes en confettis de carnaval, les visages, les corps , les voix, parlent , vibrent, ces visages et ces corps , ils éclairaient le petit et le grand monde, et ils possédaient des lumières et des ombres , tant ,que ma petite personne ne s'endormait pas , la cruauté consistant à leur fixer un corps définitif quand il ne méritait pas que l'on s'attarde plus longtemps.
Mais leur garder le visage et le corps qu'un jour ils avaient eu , sans le faire exprès , quelque chose d'insaisissable, la grâce, quelque chose au dessus d'eux et en eux , je n'hésiterais pas sur le sentiment du religieux,, on part au ciel sans jamais savoir si l'on va revenir , revoir, revivre , l'attaque du visage à la joie, l'allégresse, celui de la mort qui vous parle d'eux, la nuit , tant que quelquefois , il fallait se lever et partir , quelquefois en silence , quelquefois en grand fracas, d'autres sans pitié , car ne le méritant pas leurs voix sonnant faux et trop vrai, il niait la nuit ou la hurlait tels des sbires de lumière, la même chose , nous voulons partager l'aube! La fine peau de mystère dans l'épaisseur d'un cratère , murmurer , rire , chanter surprendre , amuïr, pénétrer ces choses impossibles , s'écarter en silence .
J'appris à déceler les changements, les passages, les lassitudes, les malaises, les désespoirs, les joies, les tromperies, les marchandages, les compromis, les présences du noir, du rouge, les mains sur la tête dans un dortoir , les mains épouvantées de noir, cette épaisseur de chair entre deux rangées de lits blancs , ils dormaient, je veillais , et l'aube malingre crachait de l'eau grisâtre par les tuyaux rouillés des lavabos de l'immense salle de bains circulaire , l'aube froide et chaude , l'aube et le noir entre nous, des temps de nous que nous prononcions déjà avec nos corps , des temps de moi que je savais indivisibles , impartageables,
les mains chaudes de rouge sur les visages, les corps les démarches, ces choses nommées âmes.
Que les visages et les corps sont la beauté , celle sans doute que l'on ne veut pas voir , et par là même impitoyable , la vieillesse et l'enfance , le temps , surpris , volé , croqué , à chaque main volant et s'envolant
Nous pouvions nous voir ou ne pas nous voir , en cela la beauté est impitoyable, le repos vient d'une fleur sur une pierre enfouie., un chat enroulé sous les cassis , un pont fragile sur le gouffre
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