Je suis dans mon poème
une vie absente
je ne saurais dire
si elle est grande ou petite ,
je ne saurais dire ,
quartier désert où se perdent mes pas
la parole se brise sur ma tête
je ne suis que là où tout m'a quitté
ainsi que la parole brisée
le sous- sol convulsion sinistre,
plus un seul mot ,
obstinée
je me suis tue dans mon poème ,
je l'ai dite la convulsion, j'ai baissé la tête
et le regard baissé dans la gorge blessée
une lettre sans souffle sur le fil voit sa sépulture
Sur la pointe des pieds un arbre
le mieux est de ne pas élever la voix,
Paris est vide ,
monotonie hypnotique de la rue,
des robes dans les vitrines , formes , décors ,
peau de solitude , gant blanc la lune fait sa nuit ,
tu frappes , il n'y a pas de porte ,tu marches , il n'y a pas de pont ,
une fourmi passe entre deux sourcils de nuages,
tu chantes , il n'y a pas de notes,
il n'y a pas de clés ,
sur le fil par l'après- midi brûlant ,
j'ai veillé dans l'immobilité et le silence,
un trou d'endormissement dans le papier,
un trou dans le sablier,
champs de vision semblant se contracter et rétrécir
alors qu'il ne fait que s'agrandir,
je me suis réveillée dans mon poème ,
faïence de fleurs
nous marchons sous les arbres
les feuillages humides et les odeurs vives
quartier de ciel tendre
les chants des sculptures, pierre , bois , argile , bronze,
les oiseaux de pierre , les assiettes d'herbe sirotant le soleil ,
les fruits ouverts d'un couteau de couleur,
la colline chante, un baiser sur le front qui disparaît,
sur le carré de la cour grise, plat lisse , une tache ,
quartier de mer pêcheur d'écume éclaboussant le visage
Un homme était triste
pas comme la pluie
non
pas comme le soleil
non
pas comme la lune
il a posé sa main sur mon genoux
puis l'a retirée
sur l'apparence s'est posé l'affleurement du réel
comme la pluie
non
comme le soleil
non
comme la lune
non
j'ai vu
ma rue grise et tous ses soleils perdus
la lourde porte
l'homme triste
le jardin où chaque course d'enfants passait sous le lilas
la sueur le long de la nuque dévalant dans le dos
les volets de bois mouillés d'abeilles fraîches,
quelque chose d'ici
quelque chose de la brume de nuit qui s'élève de la terre du jardin,
quelque chose d'ici
grand-père à la fenêtre la main sur le front qui garde le soleil ,
bientôt l'arrachement , toutes fenêtres fermées ,
les oiseaux tombés , nuques brisées , cous tordus essorés jusqu'à l'étouffement,
mains flasques de salive sans une goutte de sang
le goût de l'enfance
pas comme la pluie
non
pas comme le soleil
non
pas comme la lune
cette goutte sur la langue ,
respirant l'air doux d'octobre
la fièvre simple de l'arbre ,
cette goutte venue sur ma langue ,
le silence de la mer qu'un mot brise d'éclats ,
la lune tremblante hourdée d'écume , chaux blanche et les pâles étoiles ,
mon chagrin qui me suit pas à pas,
l'air est doux, oui , mélodie sans trêve ,
chaque course d'enfants passent sous le lilas,
un trou bleu dans le coeur, les volets de bois à l'été de grenier,
plage de sable , bateaux de sable ,voiles de papier,
quelque chose de ma ville des langues de poussières à l'échappée de la pluie ,
le square aquarelle d'ailes déchirées où
les oiseaux de brindilles aux plumes criblées de nuages s'envolent ,
vin fou , fleurs fanées , claire solitude d'île au battement des cormorans,
l'intervalle du chant du monde ,
quelque chose du soir , bleu brisé de rochers , violet feuillage de la mer ,
quelque chose de la force plaine après-midi ,
le ruban d'une route plate
un galet grisé déroulé jusqu'à l'horizon puissant vert tremblant de fumée de blé,
des îlots de toits dans un blotti d'arbres s'allongeant d'ombres sous la torpeur ,
la force de la plaine , ses cieux d'encre sombre mêlés de brusques élans fauve,
tourmente blondie ,
des rideaux de sauterelles claquent sur les vitres ,
une grenouille saute dans la mare,
des coulées de ruisseaux arc en ciel sur la couvée de silence des pluies,
la table , la fourmi picote la tartine , tout un train de petits vaisseaux noirs aux chaussons de confiture ,
quelque chose d'ici sur la chaise , un doigt de sourire levant mon menton vers le sourire , le cerisier , tronc embruni de cotonnades de terre , fumet brumeux de fins ballets mouvants monte en lacets, terre aux pieds nus , et porte la nuit sur la branche ,
au filant du soleil , la mer calme glisse silencieuse,
un exorde de crayon d'eau au repos d'écrire,
des silhouettes minuscules d'herbes , têtes bercées par l'océan,
les yeux effilés d'un trait noir poussières d'étoiles et
la nuit
la pluie
le soleil
la lune
oui ,
de la ville
de la plaine
de la mer ,
crépuscule,
d'un trait d'enfance , mon pays obombré ,
mon jardin où ma tête se penche,
paysage ouvert où l'écriture est entrée,
d' un trait ininterrompu
et tout ce pays s'échappe
je ne saurais dire ce que c'est d'écrire,
peut être une maladie de lune
l'heure n'est pas une heure
Le jardin sonne
ronde
rondeau
feuilles et roses
calmes et closes
Tige après tige
feuille après feuille
fleur après fleur
vase de parfums
une livrée de joie
En dessous et en dessus de toute chose
le jardin monte vers la lumière
ces choses minuscules
un point d' étoile
les sons infinis d'une nuit
Dans la chambrée voilée de pluie d'été
un ange a renversé les cartes sur la table
les jeux sérieux de l'enfance
les rires mutins s'élancent encore
le soleil roux sur l'allée bordée d'arbres
tristesse en corps
déjà entrée dans la pointe de la mort
j'étais dans ces mêmes rires
à cette même table
sous l'allée bordée d'arbres
dans ces mêmes mots
je suis de ce même corps
les rires criblés d'air
la nuit criblée du son des étoiles
les arbres criblés de lumière
le tamis des rousseurs
à peine perceptible
un frisson d'été
dans la pointe de la vie
j'écoute le soir monter sur la croisée de la fenêtre
les lumières s'éteindre à peu à peu
le jardin disparaître
un chaise de lune sur le ciel flou ,
je ne saurais dire ce qu'est la vie
les choses se faisant d'elles mêmes
sans grand bruit
m'absenter
contempler le jardin disparaître dans la brume
la mer une lente soir lève le battement des oiseaux,